Courir un marathon en un temps record tout en étant atteint d’hémophilie A grave

par James BayfordKelowna (Colombie-Britannique)

« Pourquoi »? Voilà une question que je me posais en laçant mes chaussures avant une course d’entraînement de 32 km. « Pourquoi pas? » est la réponse qui me revenait le plus souvent, ou « Parce que tu en es capable ». J’ai fini par trouver une autre réponse : « Fais-le pour ceux qui ne peuvent le faire ».

La course n’est pas un exercice recommandé pour les personnes atteintes d’hémophilie, c’est une activité intense et à impacts répétés qui comporte certains risques, mais elle n’est pas proscrite non plus. J’ai fait des recherches pour trouver d’autres coureurs atteint d’hémophilie parce que je voulais savoir si c’était même possible. Je n’ai pratiquement trouvé aucune donnée sur de telles personnes ayant tenté de courir un marathon. Le temps le plus rapide que j’ai trouvé était un impressionnant chrono de 3 h 35 réalisé par un Canadien, Paul McNeil, de Sudbury, en Ontario.

Après mûre réflexion, j’ai décidé de partager mon histoire avec vous, dans l’espoir qu’elle puisse inspirer d’autres personnes atteintes d’hémophilie à réaliser leurs propres objectifs et leurs propres rêves, qu’ils soient reliés au sport ou à un autre domaine.

Devenir un coureur
Je n’avais jamais pensé devenir un marathonien, pas à cause de mon hémophilie, mais simplement parce que je détestais courir lorsque j’étais jeune. Lorsque j’ai commencé à courir, c’était d’abord pour perdre du poids, puis pour me sentir mieux dans mon corps. Mon poids avait grimpé à plus de 200 livres au beau milieu des confinements liés à la Covid et, en janvier 2020, je savais qu’il fallait que je fasse quelque chose pour améliorer mon état de santé. Je n’ai pas toujours été en surpoids, et ceci finit par vous toucher de façon inquiétante. En un rien de temps, vous ne vous reconnaissez plus devant un miroir.

J’ai commencé à pratiquer le ski de fond pour sortir de la maison à une période où on nous disait de ne pas sortir, et pour me remettre en forme. Le ski de fond demeure mon sport préféré (j’y reviendrai plus loin), mais il dépend d’une seule chose qui n’est pas toujours présente en abondance, la neige. Avec l’arrivée du printemps, je devais trouver une autre activité sportive afin de continuer à réaliser mon objectif de perte de poids. J’ai ressorti ma vieille paire de chaussures de sport Asics, et je me suis dit : « pourquoi ne pas aller courir un peu? ». C’est comme ça que je suis devenu un coureur.

Ce n’était pas facile au début, j’avais de la difficulté à simplement courir. Parce que j’avais fait du ski de fond tout l’hiver, je croyais être dans une forme physique optimale pour une courte randonnée, mais il s’avère que la course est une activité complètement différente. Ma fréquence cardiaque était dans le tapis et mon rythme était désespérément lent, mais la flamme était allumée. C’est finalement devenu plus facile et j’étais surtout encouragé par le fait que je ne subissais aucun saignement. J’ai donc continué à courir presque chaque jour. La course est l’un de ces sports où l’engouement pour celui-ci finit par vous rattraper au point où, paradoxalement, vous pouvez commencer à vous considérer comme un coureur.

Injections quotidiennes
Dès le début de ma carrière de coureur, je savais que je devais y aller avec prudence. J’ai donc commencé en y allant mollo, quelques kilomètres à la fois. Au fur et à mesure que les distances parcourues s’allongeaient et que ma forme physique s’améliorait, je pensais de plus en plus à la façon dont mes taux de facteur, particulièrement mes taux résiduels, constitueraient un risque de saignement dans les articulations. Après en avoir discuté avec mon équipe de soins à Vancouver, qui a été formidable, nous avons convenu d’un plan qui consistait en des injections quotidiennes visant à assurer que mes taux de facteur VIII demeurent stables.

Une injection intraveineuse chaque jour peut sembler une tâche difficile ou désagréable, mais ça devient un geste aussi routinier que de se brosser les dents. J’étais extrêmement motivé à augmenter ma cadence. Je n’ai donc manqué aucune injection quotidienne. À ce stade, j’avais déjà perdu plus de 50 livres et mon chrono sur cinq kilomètres était passé de 30 minutes à près de 22 minutes. J’ai alors commencé à me demander quelles étaient mes possibilités, jusqu’où je pouvais aller.

Courir non pas parce que c’est facile, mais parce que c’est difficile
Le marathon est l’activité d’endurance ultime. Il récompense le cran, la détermination et la volonté de poursuivre malgré la douleur. Il ne s’agit pas d’être rapide pour courir un bon marathon. Il suffit d’être bien préparé, discipliné, et engagé à fond dans l’entraînement. Le fait de vivre avec une maladie chronique comme l’hémophilie m’a enseigné de nombreuses leçons, notamment l’importance de respecter un plan de traitement, accepter les circonstances indépendantes de votre volonté, et la capacité d’endurer de la douleur qui ferait grimacer la plupart des gens qui ne vivent pas avec l’hémophilie.

Je savais que ce serait difficile pour moi de courir un marathon, comme ce le serait pour n’importe quelle autre personne, et c’est précisément pour cela que je voulais l’essayer. Je voulais démontrer à la communauté et au monde entier que nous sommes capables d’accomplir beaucoup plus que ce que l’on peut s’attendre de nous.

Je savais que ce ne serait pas facile, mais c’était ça le but.

L’importance de l’entraînement, de la récupération, du sommeil et de la nutrition
Courir un marathon est une entreprise difficile, même pour une personne qui n’est pas atteinte d’un trouble de la coagulation – plus de 80 % des coureurs subissent une blessure au cours d’une année. J’étais donc conscient que je devais être encore plus prudent face à des facteurs que je ne pouvais contrôler. Cela voulait dire adhérer à un entraînement rigoureux afin de m’assurer d’être suffisamment en forme pour la course, avoir une bonne alimentation pour faire en sorte que mon corps puisse se réparer lui-même après un entraînement difficile, puis dormir et récupérer le mieux possible.

Je savais que je devais être meilleur que la moyenne pour réaliser une bonne performance. Je me suis entraîné pendant 16 semaines, avec un maximum de 90 km de course par semaine, ainsi qu’un entraînement complémentaire en ski de fond. Je m’assurais d’avoir 8 à 9 heures de sommeil par nuit, et je consommais beaucoup plus de protéines que je ne le faisais normalement. Je m’assurais de toujours respecter mes journées de repos et j’essayais de réduire au minimum le stress à l’extérieur de l’entraînement. Je me suis également abstenu de consommer de l’alcool en raison de son effet négatif sur la récupération.

Finir en un temps record
La course s’est déroulée en grande partie sans anicroche. Je me suis concentré sur ma stratégie de ravitaillement pendant les longs mois d’entraînement, et je me sentais bien, reposé et surtout, je n’avais aucune blessure. Je suis fier d’affirmer que grâce à une combinaison de préparation et de chance, je n’ai subi aucun saignement pendant mes 16 semaines d’entraînement.

En posant le pied sur la ligne de départ, j’ai réalisé à quel point j’étais chanceux d’être là. Dans un autre pays, je n’aurais probablement pas la même chance, et 20 ans plus tôt, je n’aurais jamais pu atteindre un tel niveau. Tout au long de la course, plusieurs sentiments se sont manifestés, de l’enthousiasme à l’épuisement, mais le sentiment qui ne m’a jamais quitté est l’immense gratitude pour tout ce qui m’a permis d’atteindre mon objectif. J’étais entouré de plus de 4 200 autres coureurs et je n’avais l’impression d’être différent d’aucun d’entre eux.

Pendant un bref moment, j’ai oublié ma maladie dans une sorte de transcendance de la vie normale. Pour quiconque est curieux de savoir ce que représente un marathon, disons que c’est une expérience difficile à décrire avec des mots. Le son de milliers de coureurs cherchant tous à réaliser le même objectif, et le mini tremblement de terre produit par les pas de tous ces coureurs. C’est une expérience à la fois surréaliste et magnifique, et je le recommande à tous ceux qui ont les capacités physiques de le faire.

Puiser dans ses ultimes ressources pour franchir le dernier droit du marathon. Ressentir la douleur au kilomètre 42, la ligne d’arrivée en vue.

Le but de cet article n’est pas de convaincre toutes les personnes atteintes d’hémophilie de courir un marathon, et je suis conscient que pour certaines personnes, ça relève de l’impossible. Je voulais témoigner que les personnes atteintes d’hémophilie peuvent réaliser des objectifs ambitieux. Ça ne veut pas nécessairement dire courir, ou pratiquer un sport, mais bien de trouver une activité qui correspond à vos aspirations et qui vous permet de réaliser votre plein potentiel. Avec un engagement envers votre objectif, vous pouvez accomplir presque tout. En misant sur les leçons retenues de la gestion d’une maladie chronique, vous êtes plus forts que vous ne le croyez et il y a une grandeur qui habite chacun d’entre nous.

J’ai complété le parcours en 3 heures, 10 minutes et 45 secondes. Ce fut suffisant pour me classer parmi le 5 % supérieur de tous les participants. J’ai battu mon objectif de 3 heures 20 minutes de près de 10 minutes, et j’ai éclipsé ce que je croyais impossible à réaliser. Je n’ai jamais marché, sauf pour me rendre à la dernière station de ravitaillement en eau parce que je ressentais un malaise dans mon estomac. À ma connaissance, il s’agit du temps le plus rapide pour une personne atteinte d’hémophilie au Canada, et possiblement au monde. Les données ne sont pas faciles à obtenir lorsqu’il s’agit de coureurs atteints d’hémophilie.

Cette sensation incroyable en franchissant la ligne d’arrivée. C’était un moment d’exaltation, l’aboutissement de quatre mois d’entraînement.

Je tiens à souligner de nouveau qu’il existe une très grande iniquité à l’échelle mondiale en matière de traitement de l’hémophilie; certaines personnes n’ont accès à aucun produit de facteur VIII tandis que d’autres ne reçoivent pas tous les soins que leur maladie exige. De plus, certaines personnes n’ont jamais reçu de diagnostic, et leur espérance de vie s’en trouve compromise. Je suis conscient que cette réalisation n’aurait pas été rendue possible sans la générosité et la compassion du système de santé au Canada. Je suis tellement reconnaissant pour les soins que je reçois.

La suite : émicizumab et futurs projets
Cette année, je me suis consacré de nouveau à mon sport d’hiver préféré, le ski de fond. J’estime que c’est un excellent défi sur le plan aérobique, et un sport qui impose beaucoup moins de stress sur les articulations et les muscles. Je participerai à deux marathons de ski de 40 kilomètres en avril, un en style classique et un en style libre (pas de patin). J’espère obtenir un classement similaire pour le marathon BMO (5 % supérieur parmi tous les participants). L’entraînement se déroule bien et j’ai parcouru plus de 750 km en ski depuis le début de la saison en octobre, ici à Kelowna. Les jours pairs, je m’entraîne en gymnase en soulevant des poids pour améliorer ma force, et je souhaite me concentrer davantage sur cet aspect à mesure que mon programme d’entraînement progresse. Je me suis inscrit à quelques courses de mise en forme tout au long de l’hiver pour évaluer mes progrès et pour voir si tout se déroule comme prévu.

Ma participation au marathon de ski Sovereign2Silverstar Ski au magnifique lac Sovereign en Colombie-Britannique. Un des plus beaux endroits au monde pour le ski nordique. J’ai hâte de participer au 40 km classique et au 40 km style libre les 1er et 2 avril cette année.

Au milieu de l’été, je suis passé du traitement au facteur VIII à l’émicizumab et à ce jour, les résultats sont très encourageants. Je n’ai pas encore subi de saignements nécessitant des injections supplémentaires de facteur VIII, et je me sens très fort avec ce nouveau traitement. Ce qu’il y a de merveilleux avec l’émicizumab, c’est que le traitement ne nécessite qu’une seule injection sous-cutanée par semaine. On arrive même à oublier qu’on est hémophile. L’avenir s’annonce prometteur pour le traitement de notre maladie dans les pays où nous avons la chance d’avoir accès à ces produits.

Les choses évoluent rapidement dans le domaine médical et les personnes atteintes d’une maladie chronique peuvent maintenant vivre une vie plus normale. En terminant, j’invite tous ceux et celles qui souhaitent discuter à communiquer avec moi. Si vous voulez parler de vos objectifs, de vos réalisations et poser des questions au sujet de la course, du ski de fond ou de la vie en général, je serai heureux de discuter avec vous. J’espère que ce témoignage pourra vous démontrer que vous aussi pouvez réaliser des choses difficiles, pourvu que vous soyez convaincus que c’est possible. Je vous souhaite à tous santé et bonheur.