Débats animés au sujet de l’appareil musculosquelettique

Au cours de cette séance, trois « sujets chauds » en lien avec la santé des muscles, des os et des articulations chez les personnes atteintes de troubles de la coagulation ont été débattus par des experts de différents domaines :

  • échographie à domicile par les patients;
  • arthroplastie vs arthrodèse de la cheville; et
  • score relatif au capital articulaire chez l’hémophile vs paramètres fonctionnels.

Échographie à domicile par les patients
L’échographie à domicile se fait au moyen d’un outil portable qui génère des images de l’intérieur du corps au moyen d’ultrasons; les médecins l’utilisent à la clinique pour déterminer la meilleure façon de soigner leurs patients. Ce n’est pas la même chose que l’échographie diagnostique, pour laquelle il faut se rendre dans une clinique ou un service de radiologie, où un spécialiste procède à un examen échographique complet.

Certains patients connaissent peut-être déjà l’échographie à domicile par l’entremise de leurs centres de traitement. Un membre de leur équipe soignante (p. ex., physiothérapeute, hématologue) a peut-être utilisé cet appareil lors d’un rendez-vous clinique pour regarder à l’intérieur d’une articulation ou d’un muscle. Le plus souvent, on l’utilise pour vérifier si un patient a eu un saignement ou pour vérifier si un saignement rentre dans l’ordre.

Il existe de nouvelles technologies mobiles qui permettent aux patients d’utiliser une sonde échographique à la maison. À partir de la clinique hospitalière, un médecin peut guider le patient afin de générer des images de l’articulation ou du muscle par sonde échographique et voir les clichés échographiques en temps réel. La présente discussion cherchait à déterminer si l’échographie à domicile est une bonne chose pour les patients.

La Dre Hortensia de la Corte Rodriguez, spécialiste en médecine sportive et en réadaptation à l’Hôpital universitaire La Paz de Madrid, s’est exprimée contre l’utilisation des appareils d’échographie à domicile par les patients. Elle ne s’opposait pas à l’idée même de la technologie, mais estimait qu’il fallait d’abord approfondir la recherche. Avant que l’équipe d’un centre de traitement des troubles de la coagulation puisse utiliser sans danger les appareils d’échographie à domicile, il est important que la technologie génère des images échographiques de bonne qualité et qu’elle les relaie de manière fiable aux ordinateurs des cliniques; que des programmes de formation soient en place pour les patients; que les images échographiques générées par les patients soient utilisables à distance pour l’évaluation des muscles et des articulations de même que pour le choix du traitement approprié; que la qualité des soins soit maintenue avec la télémédecine; et que les renseignements médicaux personnels des patients soient protégés.

Pour sa part, la Dre Annette von Drygalski, directrice du Centre de traitement de l’hémophilie et des thromboses à l’Université de la Californie à San Diego, s’est pour sa part exprimée en faveur des appareils d’échographie à domicile pour les patients. Ses principaux arguments étaient : la technologie est maintenant disponible et relativement peu coûteuse; on constate que des personnes qui n’ont pas de formation médicale peuvent suivre les indications afin de générer de bonnes images échographiques; le fait que les patients génèrent leurs propres images échographiques à domicile permettrait de réduire le fardeau des cliniques et des patients en réduisant les rendez-vous en personne. L’équipe de la Dre von Drygalski et d’autres équipes ont commencé des recherches préliminaires sur l’utilisation de l’échographie à domicile; on devrait bientôt avoir accès à ces données.

Dans l’ensemble, les deux conférencières étaient d’accord : l’échographie à domicile par les patients est une technologie potentiellement utile pour améliorer les soins, mais il faut en faire l’étude et la tester soigneusement avant de l’offrir aux centres de traitement.

Arthrodèse vs arthroplastie de la cheville pour l’arthropathie avancée
Les personnes atteintes de troubles de la coagulation présentent souvent des problèmes de chevilles. Les saignements articulaires à répétition entraînent de la douleur, de l’enflure, de la raideur et une atteinte articulaire permanente (arthropathie). Il existe des options chirurgicales pour les personnes qui n’arrivent plus à s’acquitter de leurs tâches quotidiennes en raison d’une arthropathie de la cheville. Deux options ont été débattues par deux chirurgiens orthopédistes qui travaillent auprès des personnes hémophiles :

  • Arthrodèse de la cheville : Chirurgie qui fixe et immobilise les os de la cheville. Puisque la cheville ne bouge plus, la douleur et l’enflure disparaissent habituellement.
  • Arthroplastie de la cheville : Chirurgie qui consiste à remplacer les surfaces osseuses de l’articulation de la cheville par des implants artificiels. Lorsque le cartilage articulaire endommagé est retiré, la douleur et l’enflure articulaires s’améliorent généralement.

Pour le Dr Mauricio Silva, professeur agrégé de chirurgie orthopédique à l’Université de la Californie à Los Angeles (UCLA), l’arthrodèse de la cheville est une intervention plus sécuritaire et efficace chez les personnes qui souffrent d’une arthropathie hémophilique avancée de la cheville. L’arthroplastie de la cheville s’accompagne généralement d’un plus grand nombre de complications comparativement à l’arthrodèse et les implants artificiels finissent par s’user et doivent éventuellement être remplacés à leur tour, fait-il remarquer. Il a également expliqué que l’arthrodèse de la cheville donne de bons résultats : par exemple, les patients sont en général satisfaits de leur chirurgie et remarquent des améliorations de leur qualité de vie, de leur douleur et de leurs capacités fonctionnelles. Il a globalement fait valoir que l’arthrodèse de la cheville fonctionne bien chez les personnes atteintes d’hémophilie et qu’il ne vaut pas la peine de les exposer aux risques additionnels associés à l’arthroplastie de la cheville.

Pour le Dr David Dalstrom, chirurgien orthopédiste à l’Hôpital San Diego Health, affilié à l’Université de la Californie, il est temps d’envisager l’arthroplastie de la cheville comme principal traitement pour les personnes atteintes d’arthropathie hémophilique de la cheville. Les nouveaux implants durent plus longtemps (10 ans ou plus) et la technique de remplacement des implants usés s’est améliorée, affirme-t-il. En outre, les personnes qui ont subi une arthroplastie de la cheville (plutôt qu’une arthrodèse) ont moins de problèmes avec leurs autres articulations de la cheville inférieure et du pied, développent de meilleures capacités fonctionnelles et obtiennent le même niveau de soulagement de la douleur. Il a également fait remarquer que l’arthroplastie de la cheville est la norme pour les patients qui souffrent d’autres maladies chroniques et qui sont exposés à un risque plus élevé d’infection (p. ex., polyarthrite rhumatoïde, diabète), elle devrait donc être aussi envisagée chez les personnes atteintes d’hémophilie.

Au fond, le message à retenir est que les résultats de l’arthrodèse de la cheville sont connus et prévisibles, tandis que ceux de l’arthroplastie de la cheville sont plus incertains, mais les techniques chirurgicales et les implants s’améliorent. Les arthroplasties de la cheville pourraient devenir plus fréquentes chez les patients atteints de troubles de la coagulation à l’avenir.

Score HJHS vs paramètres fonctionnels
Le score relatif au capital articulaire chez l’hémophile, ou score HJHS, pour Hemophilia Joint Health Score, est connu de la plupart des gens. Une physiothérapeute effectue une série de mesures et de tests articulaires et musculaires puis établit un score pour chaque articulation, ce qui aide les médecins à faire le suivi des articulations.

Les paramètres fonctionnels sont probablement connus également de plusieurs. Ils peuvent inclure l’administration d’un questionnaire standardisé sur les activités avec lesquelles vous avez de la difficulté, ou sur votre qualité de vie, par exemple. Les paramètres fonctionnels incluent aussi des tests de capacité physique, au cours desquels une physiothérapeute vous observe durant différentes tâches et note votre capacité à les exécuter. Par exemple, le physiothérapeute peut mesurer la distance que vous parcourez en six minutes; ou vous demander d’effectuer une série de tâches pour tester votre équilibre.

Janaina Bosso, physiothérapeute au Centre d’hématologie et d’hémothérapie de l’Université Campinas au Brésil, est d’avis que le score HJHS est utile. Ses principaux avantages sont qu’il a été beaucoup utilisé et qu’il constitue une bonne façon de suivre les changements qui affectent vos articulations. Il est utilisé depuis plus de 10 ans, on dispose donc de données pour comparer les scores; par exemple, le score d’un patient lors d’une visite précédente à la clinique peut être comparé au score actuel. Vous pouvez aussi comparer les scores HJHS entre différents groupes de patients, par exemple, les scores des patients canadiens comparés aux scores des patients indiens. En outre, le manuel de formation et le matériel afférant au score HJHS sont disponibles gratuitement dans plusieurs langues.

Janaina a admis que le score HJHS comporte quelques inconvénients : il peut être long à effectuer et il requiert un espace physique qui n’est pas toujours disponible, en plus d’avoir été mis au point pour les enfants et que l’on ignore s’il est applicable aux adultes.

Pour David Stephensen, physiothérapeute au Centre d’hémophilie et de thrombose Kent à Canterbury et au centre d’hémophilie du Royal London Hospital, au R.-U., il faut inclure des paramètres qui comptent le plus pour le patient et, entre autres, des paramètres fonctionnels. Le HJHS dresse un portrait de l’état d’une partie du corps en particulier sans tenir compte de la capacité fonctionnelle des individus au plan des tâches quotidiennes qui sont importantes pour eux, fait-il remarquer. Pour lui, les paramètres fonctionnels utilisés dans la population générale sont plus utiles pour observer les changements de la condition physique d’une personne. En outre, les paramètres fonctionnels peuvent être adaptés à chaque individu. Le clinicien peut choisir un outil qui mesure les paramètres importants pour le patient, par exemple, et qui concordent avec ses objectifs. En terminant, selon la recherche, les paramètres fonctionnels et les questionnaires afférents peuvent être utilisés en télémédecine au moyen de vidéoconférences, tandis que les tests articulaires et musculaires mesurés par le HJHS ne peuvent pas réellement être effectués virtuellement, a-t-il conclu.

En terminant, le message à retenir des deux conférenciers est que le HJHS est utile pour certaines choses, mais devrait être complété par les paramètres fonctionnels qui comptent pour chaque individu.