Le juge Horace Krever nous a quittés… mais son héritage est bien vivant

La Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada, une enquête publique portant sur le système canadien d’approvisionnement en sang qui a été contaminé par le VIH et le virus de l’hépatite C dans les années 1980 et qui a mené à l’infection de milliers de Canadiens et à la pire tragédie de santé publique au Canada ayant pu être évitée. Elle est également connue sous le nom de Rapport Krever. Cela fait maintenant plus de 30 ans que la Commission a été mise sur pied et que le juge Horace Krever en a été nommé commissaire. Nous venons malheureusement d’apprendre le décès du juge Horace Krever survenu le 30 avril à l’âge de 94 ans.

Dans le cadre de ma recherche pour la série télévisée Unspeakable, qui relate la crise du sang contaminé au Canada, j’ai eu l’immense honneur d’interviewer le juge Krever à quelques reprises. Il était affable et en même temps impressionnant, comme on pouvait s’y attendre.

Pendant l’étape des témoignages à l’enquête, des membres des médias et de la communauté hémophile avaient remarqué que le juge Krever donnait l’impression d’être impassible devant l’écoute des témoignages. Certaines personnes avaient interprété son absence d’émotion comme un manque de compassion envers le sort des victimes du sang contaminé. J’ai abordé cette question avec lui. Il était conscient de cette opinion qui prévalait et comprenait la réaction des gens à cet égard, mais il s’est également défendu de n’avoir affiché aucun sentiment. Les témoignages qu’il entendait jour après jour, mois après mois, étaient affreusement tragiques, et dans le cas des personnes ayant commis des gestes répréhensibles, scandaleux. Krever a bien sûr affirmé avoir été profondément ému, mais il était convaincu qu’il devait paraître impartial afin que le résultat de l’enquête ne puisse être contesté. Il ne pouvait pas donner l’impression de prendre parti afin de ne pas mettre en péril l’intégrité de l’enquête. Il a donc choisi de ne pas exprimer ses sentiments, mais je peux vous assurer qu’il en avait.

La Commission a consacré quatre ans à enquêter sur la tragédie du sang contaminé et a déposé son rapport final le 21 novembre 1997. Le juge Krever a mené plusieurs batailles juridiques importantes avec ce même gouvernement qui avait mis sur pied l’enquête, principalement sur le droit de nommer publiquement ceux qui avaient manqué à leur devoir. Dans cette foulée, il a redéfini le rôle même des enquêtes publiques. Cela a également donné lieu à une des plus longues sagas judiciaires du Canada, avec près de 10 milliards $ en poursuites, indemnisations et enquêtes criminelles.

Le volumineux rapport final de 1 138 pages formulait une série de recommandations qui visaient à restructurer le système d’approvisionnement en sang au Canada afin de le rendre beaucoup plus sûr pour les utilisateurs de produits sanguins. Malgré cette réalisation remarquable, le juge Krever m’a dit à maintes reprises qu’il n’a fait qu’accomplir son travail et a donné tout le crédit à tous ceux qui ont contribué à l’enquête ainsi qu’à ceux qui ont témoigné et défendu les intérêts de la communauté des personnes atteintes d’un trouble de la coagulation. Nous avons tous une dette incommensurable envers le juge Horace Krever.