Étant donné que les instances de réglementation s’apprêtent à approuver l’utilisation de la première thérapie génique à l’extérieur des essais cliniques vers le milieu de 2020, il est urgent d’amasser des données à long terme sur son innocuité de même que sur la variabilité et la durée de son efficacité. Les autorités exigeront des données de surveillance épidémiologique afin de mieux comprendre ses effets et son impact sur les personnes atteintes d’hémophilie. La Fédération mondiale de l’hémophilie (FMH) et l’American Thrombosis and Hemostasis Network (ATHN) ont instauré une collaboration internationale pour la collecte harmonisée des données à long terme sur la thérapie génique anti-hémophilique. Michael Recht, directeur scientifique de l’ATHN, s’est exprimé au nom de ce dernier au sujet du registre mis en place (ATHN 14 – Gene Therapy Outcome Study) pour recueillir les données provenant de 140 centres de traitement (CTH) aux États-Unis ayant reçu une subvention fédérale, ainsi que d’autres centres participants. La Dre Barbara Konkle, directrice scientifique adjointe de Bloodworks North-West, a décrit le Registre de la thérapie génique de la FMH (voir autre texte). Caroline Voltz, responsable des produits d’hémato-oncologie et diagnostiques à l’Agence européenne des médicaments, et Peter Marks, directeur du Center for Biologics Evaluation and Research (CBER) de la Food and Drug Administration des États-Unis, ont discuté de la réglementation et des lignes directrices concernant la thérapie génique, les registres et le suivi à long terme du point de vue de leurs organisations respectives.
Pour l’ATHN, moins de 12 ans se sont écoulés depuis qu’un patient a reçu une première thérapie génique à base de virus adéno-associé et beaucoup de questions persistent : bien-fondé de l’immunomodulation, innocuité, efficacité et résultats chez les patients. L’étude ATHN 14 sera une étude d’observation longitudinale basée dans la population touchée par l’hémophilie A et B chez des patients qui ont reçu ou recevront une thérapie génique. Plusieurs receveurs canadiens de thérapie génique ont été inscrits à des études cliniques à partir de CTH américains et peuvent s’attendre à faire partie de l’étude ATHN 14, tout en étant suivis dans leur CTH local. La base de données d’ATHN 14 est strictement confidentielle et elle ne recueille aucun renseignement personnel. Le suivi se fera tous les trois mois pendant un an, puis tous les six mois environ pendant possiblement 15 ans. Les principaux paramètres d’innocuité sont les réactions allergiques, les infections liées aux transfusions, la fonction hépatique, les événements thromboemboliques et cardiovasculaires, les cancers, les événements neurologiques, les cas imprévus d’inefficacité, l’efficacité excessive et les décès. La collecte des données inclura le type et la dose de vecteur utilisés et le recours à l’immunomodulation. Les patients rendront compte de leurs paramètres à l’aide des échelles d’évaluation de la qualité de vie EQ-50 et PROMIS pour les aspects cliniques, sociaux et économiques. Des analyses ad hoc périodiques seront effectuées pour détecter les effets indésirables nécessitant une intervention. Une caractéristique unique sera l’inclusion d’une banque d’échantillons sanguins pour des recherches futures. Intégrés au modèle de l’étude ATHN 14, des modules secondaires permettront la conduite d’études cliniques plus spécifiques. Il faut noter que l’étude ATHN 14 s’harmonisera au Registre de la thérapie génique de la FMH. Les données seront téléchargées annuellement pour éviter les doublons et elles seront reliées à toutes les autres cohortes de l’ATHN par le biais d’ATHN TRANSCENDS.
La Dre Konkle a rappelé les avantages d’un registre mondial et souligné que chaque centre qui soumet des données devra obtenir le consentement éclairé de tous les patients inscrits et une approbation éthique. Ce registre mondial augmentera la probabilité de détecter les événements de faible incidence et permettra de dresser un tableau de toutes les populations de patients. À l’aide du cadre connu/inconnu, nous savons qu’il y a un risque de problèmes hépatiques et nous souhaitons rester à l’affût des cancers et d’autres effets ou problèmes imprévus. Nous espérons que la collaboration entre plusieurs organisations, partenaires de l’industrie et instances de réglementation apportera des réponses à bien des questions au sujet de la thérapie génique.
Les représentants des deux instances de réglementation ont rappelé que leur mandat est d’analyser indépendamment chaque demande d’approbation de thérapie génique aux plans de l’innocuité et de l’efficacité, et non de les comparer entre elles. Les deux instances disposent de lignes directrices concernant les produits de thérapie génique et des critères pour leur surveillance postcommercialisation à long terme. Peter Marks de CBER a attiré l’attention sur les enjeux de réglementation, comme le type de vecteur utilisé pour administrer la thérapie génique et la technologie utilisée dans sa fabrication (par exemple, intégration, non-intégration ou technologie d’édition génomique). En plus des données recueillies lors des essais cliniques, on pourrait exiger d’autres données, comme les plans de gestion des risques d’hépatotoxicité, l’immunogénicité, les anticorps liants et neutralisants (inhibiteurs), le nombre de saignements, les examens cliniques, par exemple, pour l’arthropathie, la prise en charge périopératoire, le recours aux concentrés de facteur et les résultats/évaluations des chirurgies. Les registres devront se conformer aux règlements nationaux concernant le consentement éclairé et la protection des renseignements personnels. Une harmonisation des données, des éléments et des analyses requises serait utile et les autorités voudront être informées des stratégies en cas de complications. Le plan de l’AEM encourage une approche holistique centrée sur les patients. Il faut également noter que les responsables de l’évaluation des technologies de la santé et les régimes payeurs exigent de plus en plus des données basées sur des résultats avant de décider du financement/remboursement d’un produit.
Durant la période de questions, on a discuté de la façon d’évaluer les coûts et les avantages de la thérapie génique et des ententes de tarification en fonction de la valeur comme moyen éventuel de rendre ces traitements accessibles. Une question intéressante a été posée : si la thérapie génique devait être réadministrée, utiliserait-on le même produit ou un autre? La réponse dépendrait de l’autorisation de mise en marché de chaque produit. Il sera également important de connaître la proportion de patients qui continueront la thérapie génique par rapport au nombre total de patients l’ayant reçue, ainsi que le nombre de patients ayant refusé de s’inscrire au registre.