Nouvelles lignes directrices pour l’hémophilie présentées au Sommet virtuel 2020 de la FMH

La communauté mondiale des troubles de la coagulation a eu droit à un aperçu des nouvelles Lignes directrices internationales pour la prise en charge de l’hémophilie à l’occasion du Sommet virtuel 2020 de la FMH, lors de l’une des premières séances du dimanche 14 juin. « Il y a eu beaucoup d’avancées ces sept dernières années, tant au plan du diagnostic (particulièrement en ce qui concerne le rôle et la portée des analyses génétiques), qu’au plan du traitement, avec une foule de nouveaux agents thérapeutiques novateurs pour les personnes atteintes d’hémophilie, porteuses ou non d’inhibiteurs », a affirmé le Dr Alok Srivastava, hématologue au Christian Medical College, de Vellore, en Inde, qui a été responsable du contenu des trois éditions des Lignes directrices pour la prise en charge de l’hémophilie de la FMH.

Un comité de 50 membres bénévoles dévoués regroupant des experts internationaux du domaine ainsi que des personnes hémophiles bien informées ou leurs parents ont participé à cette plus récente édition mondiale. Le Canada était bien représenté au sein du comité : les Drs Manuel Carcao, pédohématologue et Brian Feldman, pédorhumatologue, tous deux de l’Hôpital pour enfants malades de Toronto, ainsi que le physiothérapeute Greig Blamey, du Centre de traitement des troubles de la coagulation chez l’adulte du Centre des sciences de la santé de Winnipeg, ont largement contribué à l’élaboration des nouvelles lignes directrices de la FMH. De plus, David Page, directeur national des politiques de la santé de la SCH, a offert son expertise en matière d’hémophilie et son expertise éditoriale aux rédacteurs médicaux.

Cette troisième édition inclut sept nouveaux chapitres sur les domaines suivants : principes de soins, analyses génétiques, prophylaxie (perfusions régulières de concentrés de facteur), inhibiteurs dirigés contre le facteur de la coagulation, enjeux spécifiques de la prise en charge, complications musculosquelettiques et évaluation des résultats. La séance a été l’occasion de présenter de nouvelles données et quelques lignes directrices fondées sur un consensus pour quatre chapitres clés.

Agents hémostatiques : Facteurs à demi-vie prolongée et traitements sans facteur
Le Dr Steven Pipe, pédohématologue au Centre médical de l’Université du Michigan, a précisé que le chapitre sur les agents hémostatiques incluait des lignes directrices qui corroborent les énoncés de l’édition précédente et formulent de nouvelles recommandations sur des traitements récents, tels que les concentrés de facteur à demi-vie prolongée et le traitement substitutif sans concentré de facteur appelé émicizumab. La FMH recommande d’utiliser l’émicizumab en prophylaxie régulière chez les patients atteints d’hémophilie A porteurs d’inhibiteurs; pour ceux qui ne présentent pas d’inhibiteurs, la FMH précise que l’émicizumab peut aussi être utilisé en prophylaxie régulière. « Le comité a jugé que les données étaient insuffisantes pour appuyer l’utilisation de l’émicizumab en prophylaxie régulière [chez les patients non porteurs d’inhibiteurs] comparativement au traitement classique par concentré de FVIII, mais il peut sans contredit être utilisé et il le devrait », affirme le Dr Pipe.

Au sujet de l’éventail croissant des concentrés de facteur à demi-vie prolongée utilisés dans plusieurs pays du monde, le comité n’a indiqué aucune préférence entre les différents modes d’action mis à contribution pour prolonger la demi-vie (p. ex., pégylation et protéine de fusion Fc, ou d’albumine). « La discussion à ce sujet a été fort animée parce que les instances de réglementations nationales ont parfois des positions divergentes en ce qui a trait aux approbations et parce qu’il n’y a pas de paramètres uniformisés pour évaluer tous les produits dotés d’un même mode d’action », ajoute le Dr Pipe. « On s’entend généralement pour dire qu’à partir des paramètres d’innocuité clinique recueillis à ce jour, rien ne permet de recommander une stratégie au détriment d’une autre. Il y a de toute évidence des enjeux à élucider aux plans de la surveillance épidémiologique et de l’interprétation des corrélations cliniques avec des taux plasmatiques seuils spécifiques. »

Le comité a également souligné tout le travail accompli ces dernières années au chapitre des outils cliniques de surveillance individuelle du profil pharmacocinétique et de calcul des doses en fonction du profil pharmacocinétique afin d’obtenir une prophylaxie personnalisée.

Prophylaxie : Normes de soins mondiales
La prophylaxie est essentielle et représente désormais une norme de soins, non seulement dans les pays industrialisés, mais partout dans le monde, affirme le Dr Manuel Carcao, qui a dirigé les travaux du comité responsable du chapitre sur la prophylaxie. « Nous pouvons améliorer la prophylaxie; les données selon lesquelles il est possible d’adapter et de personnaliser la prophylaxie sont convaincantes. » C’est pourquoi la FMH préconise l’utilisation de la prophylaxie plutôt que le traitement épisodique, même dans les pays qui ont des budgets de santé significativement limités. Le traitement épisodique est essentiel pour les hémorragies aiguës, mais ne prévient pas l’atteinte articulaire à long terme; toutefois, une prophylaxie moins intensive peut être utilisée. « Toutes les formes de prophylaxie – par concentrés de facteur à doses élevées, moyennes ou faibles, ou sans concentrés de facteur (émicizumab) – donnent de meilleurs résultats que le traitement épisodique », affirme-t-il.

Selon les panélistes, on reconnaît également de plus en plus, sur la base de données probantes, que des taux minimaux de facteur de 1 % à 3 % sont insuffisants pour prévenir tous les saignements chez tous les patients hémophiles et que ces taux ne préviennent pas les saignements cliniques ou sous-cliniques occasionnels qui font progresser graduellement l’arthropathie au cours de la vie. « Les patients demeurent exposés à un risque hémorragique et la plupart des médecins préféreraient cibler des taux minimaux plus élevés soit supérieurs à 3 %, 5 %, voire plus, pour réduire le nombre de saignements », rappelle le Dr Carcao. La plupart des concentrés de facteur à demi-vie prolongée et des traitements sans concentrés de facteur peuvent être administrés par voie sous-cutanée et confèrent une bien meilleure protection que des taux minimaux de 1 %. Il est en outre possible de les personnaliser pour réduire la fréquence des traitements ou pour générer des taux minimaux (creux plasmatiques) plus élevés. « Mais peu importe la façon d’ajuster ou de personnaliser la prophylaxie, l’objectif ultime de tout traitement prophylactique devrait être d’empêcher les saignements spontanés », a-t-il rappelé.

D’importants nouveaux traitements sans concentrés de facteurs sont en cours d’élaboration, par exemple les inhibiteurs de la voie du facteur tissulaire et le fitusiran. Le premier et le seul agent actuellement autorisé est l’émicizumab. Les lignes directrices de la FMH en recommandent l’utilisation en prophylaxie pour prévenir l’hémarthrose et les saignements spontanés et intercurrents chez les patients atteints d’hémophilie A grave, non porteurs d’inhibiteurs; tout en faisant remarquer qu’on dispose de très peu de données cliniques à long terme sur les résultats et qu’il faut continuer de recueillir ce type de données.

La prophylaxie antihémophilique ne repose plus uniquement sur les perfusions intraveineuses du facteur de la coagulation manquant, rappelle le Dr Carcao. « Le fait que la prophylaxie ne repose plus uniquement sur les concentrés de facteurs nous force à mettre à jour notre définition de la prophylaxie. » La définition classique présentée dans un message de 2014 du sous-comité pour les facteurs VIII et IX du Comité scientifique et de standardisation de la Société internationale de thrombose et d’hémostase se lisait comme suit : « Perfusions intraveineuses régulières du FVIII manquant chez les personnes atteintes d’hémophilie A et du FIX manquant chez les personnes atteintes d’hémophilie B, administrées de manière à faire augmenter les taux de FVIII ou de FIX pour prévenir les saignements. » (Adaptation libre)

Les lignes directrices de la FMH proposent une nouvelle définition de la prophylaxie en fonction des résultats plutôt qu’en fonction du dosage de l’agent thérapeutique : « Administration régulière d’un ou plusieurs agents hémostatiques dans le but de prévenir les saignements chez les personnes atteintes d’hémophilie, tout en leur permettant de mener des vies actives et d’atteindre une qualité de vie comparable à celle des personnes non hémophiles. » (Adaptation libre).

Inhibiteurs : Nouveaux traitements au potentiel transformateur
Chez les patients atteints d’hémophilie porteurs d’inhibiteurs, le fardeau de la maladie est plus lourd que chez les patients qui n’ont pas d’inhibiteurs, fait remarquer la Dre Margaret Ragni, hématologue et directrice du Centre de l’hémophilie du Western Pennsylvania Hospital, auteure principale du chapitre sur la prise en charge des inhibiteurs. « Ces patients présentent des saignements et des complications plus graves, ont plus des réactions allergiques – surtout les patients atteints d’hémophilie B – ils ont un taux plus élevé d’hospitalisation, leur traitement coûte plus cher et ils présentent des taux de mortalité plus élevés », rappelle-t-elle. « Il s’ensuit que tous les patients devraient essayer le traitement d’induction de l’immunotolérance. »

La Dre Ragni a résumé les recommandations de la FMH en ce qui concerne le dépistage des inhibiteurs, qui devrait être effectué d’emblée, et dans les circonstances suivantes :

  • après l’exposition initiale à un concentré de facteur, au moins tous les 6 à 12 mois et une fois l’an par la suite;
  • après une exposition intensive aux concentrés de facteur (p. ex., plus de 5 jours), dans les 4 semaines suivant la plus récente exposition;
  • lors de saignements récurrents ou de saignements dans une articulation cible malgré un traitement adéquat;
  • lors d’une réponse insatisfaisante à un traitement adéquat par concentrés de facteur;
  • lorsque les taux de concentrés de facteur sont inférieurs aux taux attendus (récupération ou demi-vie);
  • lorsque la réponse aux concentrés de facteur est sous-optimale selon les paramètres cliniques ou de laboratoire; et
  • avant une chirurgie ou lorsque la réponse aux concentrés de facteur est sous-optimale en période postopératoire.

« C’est une époque intéressante pour la prise en charge des patients porteurs d’inhibiteurs », affirme la Dre Ragni. « Des traitements à base de facteurs en sont aux premières phases des essais cliniques, y compris un facteur VII activé recombinant (rFVIIa) à demi-vie prolongée pour utilisation thérapeutique et prophylactique chez les patients porteurs d’inhibiteurs, des traitements sans concentrés de facteur, dont le fitusiran (petit ARN interférent qui cible l’antithrombine) et les traitements anti-TFPI pour la prophylaxie dans les cas d’hémophilie A et B, avec ou sans inhibiteurs. » Pour l’instant, le seul traitement substitutif sans concentré de facteur approuvé, l’émicizumab, est de plus en plus accessible et utilisé dans un nombre croissant de pays pour la prophylaxie chez les patients atteints d’hémophilie A, porteurs ou non d’inhibiteurs.

La Dre Ragni a également résumé les recommandations de la FMH en ce qui concerne la chirurgie et les interventions effractives chez les patients porteurs d’inhibiteurs, ainsi que les nouvelles recommandations sur l’induction de l’immunotolérance (IIT) fondées sur les plus récentes données probantes. La FMH recommande que l’IIT débute immédiatement après le dépistage d’un inhibiteur. En ce qui concerne l’IIT chez les patients atteints d’hémophilie A, le traitement à privilégier inclut le FVIII recombinant ou dérivé du plasma; ou la protéine de fusion Fc pour le FVIII recombinant. En général, on obtient un succès d’environ 70 % chez les patients atteints d’hémophilie A et un succès significativement moindre chez les patients atteints d’hémophilie B. On dispose de données insuffisantes sur l’IIT chez les patients atteints d’hémophilie B, par conséquent, la FMH ne formule aucune recommandation spécifique à cet égard. Il faut noter que le FIX peut accroître les réactions allergiques ou le syndrome néphrotique. L’immunosuppression peut aussi être envisagée. Si l’IIT n’est pas atteinte en l’espace de 2 à 3 ans, on considère qu’il y a échec de l’induction.

Après la réussite de l’IIT, la prophylaxie par FVIII ou FIX doit débuter sous très étroite surveillance. Les données sur l’impact des concentrés de facteurs à demi-vie prolongée sont limitées. En ce qui concerne le passage à un autre type ou à une autre marque de FVIII ou de FIX, selon les données, on ne note aucun risque significatif d’inhibiteurs, par conséquent, aucun produit ne se démarque.

Hémorragies spécifiques : Nouvelles données probantes et lignes directrices
Le Dr Johnny Mahlangu, hématologue clinique à l’hôpital universitaire Charlotte Maxeke de Johannesburg, à la Faculté d’anatomopathologie de l’Université du Witwatersrand et au NHLS, a rappelé les recommandations pour le traitement des hémorragies spécifiques. Pour le soulagement de la douleur, les lignes directrices précédentes de la FMH recommandaient d’éviter les opioïdes chez les personnes atteintes d’hémophilie. Sur la base des données probantes maintenant disponibles, on recommande d’utiliser les opioïdes s’ils sont indiqués, à la condition que leur durée d’utilisation soit clairement définie.

Les panélistes ont également passé en revue les données probantes concernant un sujet controversé dans le domaine de l’hémophilie, soit l’aspiration (ponction) des saignements articulaires. Les lignes directrices précédentes conseillaient d’éviter l’aspiration des articulations (arthrocentèse). Après l’examen des données probantes, les nouvelles lignes directrices préconisent l’arthrocentèse pour traiter une hémarthrose douloureuse ou une infection présumée, mais non de routine. Cette intervention est déconseillée dans de nombreuses pratiques pour éviter le risque d’infection intra-articulaire.

Les lignes directrices pour le traitement des saignements menaçant le pronostic vital ou la survie d’un organe (p. ex., saignement affectant le système nerveux central, la gorge, le cou ou l’appareil digestif) sont maintenues. Les nouvelles recommandations préconisent pour les saignements gastro-intestinaux l’utilisation d’antifibrinolytiques qui sont associés à une réduction significative de la mortalité et des taux de saignement, en plus de rappeler l’importance de surveiller les taux d’hémoglobine en cas de saignements anormaux.

De plus, selon les données probantes passées en revue et les pratiques actuelles, la FMH recommande maintenant d’éviter le paquetage nasal en cas d’épistaxis. « Là où il est difficile de changer cette pratique, nous recommandons d’imbiber la gaze d’antifibrinolytiques afin qu’ils puissent enrayer le saignement », précise le Dr Mahlangu.

La troisième édition des Lignes directrices de la FMH pour la prise en charge de l’hémophilie sera disponible sur le site web de la revue Haemophilia à la fin juillet.