Penser les inhibiteurs différemment

La formation d’anticorps (inhibiteurs) dirigés contre les concentrés de facteur VIII chez jusqu’à 40 % des patients atteints d’hémophilie A grave représente une complication majeure du traitement et nuit grandement à la prévention des hémorragies. On ignore pourquoi certains patients atteints d’hémophilie A présentent des inhibiteurs. Selon ce que l’on croit, la formation d’inhibiteurs est une réaction immunitaire classique à un antigène étranger, mais cette théorie est peut-être trop simpliste.

Il semble y avoir un certain degré de plasticité dans la réaction immunitaire contre le facteur VIII perfusé. Vingt-sept pour cent des patients développent au départ des inhibiteurs transitoires dont le titre est souvent bas et qui disparaissent spontanément sans modification du traitement, alors qu’on peut observer la présence d’IgG anti-FVIII chez des patients ayant déjà été traités et qui sont indemmes d’inhibiteurs. On sait en outre que des inhibiteurs peuvent apparaître chez des patients vieillissants, particulièrement après un traumatisme ou une chirurgie. S’agit-il d’une perte de tolérance ou d’une apparition de novo après des années de traitement? Les individus en bonne santé tolèrent leur propre FVIII (FVIII endogène) par le biais d’un ou de plusieurs mécanismes : élimination des cellules autoréactives, ignorance ou tolérance active, et ces mécanismes peuvent être importants chez les patients atteints d’hémophilie A également. Plusieurs facteurs ont déjà été associés à une augmentation du risque d’inhibiteurs, notamment la dose, les vaccins et les saignements aigus. Certaines données confirment l’effet de la dose et pourtant l’induction de l’immunotolérance (IIT) au moyen de doses élevées permet d’éliminer les inhibiteurs chez plusieurs et des travaux récents nient tout lien entre vaccination et saignement actif en soi. Il semble plutôt que l’inflammation soit au cœur du problème et que le risque d’inhibiteurs soit associé à une incapacité d’élaborer une réponse anti-inflammatoire adéquate par l’entremise des lymphocytes T. On sait que la réponse des lymphocytes T est atténuée chez les personnes âgées et affecte différentes fonctions immunitaires.

En conclusion, selon une nouvelle façon de considérer les inhibiteurs, une majorité de patients atteints d’hémophilie A développent initialement une réponse immunitaire transitoire au FVIII perfusé, mais y deviennent tolérants grâce à un phénomène de reconnaissance et de régulation à partir d’éléments effecteurs inverses spécifiques au FVIII, un peu comme chez les personnes en bonne santé, tandis que les patients qui développent des inhibiteurs ne contrôlent pas leur réponse immunitaire à l’endroit de l’antigène inoffensif.

D’autres travaux sur le statut inflammatoire des patients atteints d’hémophilie A porteurs d’inhibiteurs persistants ont montré que la régulation à la hausse des modulateurs immunitaires innés pourrait influer sur les réponses à l’endroit du traitement d’IIT et, éventuellement, sur ses résultats. Une meilleure compréhension de ces mécanismes innés et inflammatoires révèle l’échec des mécanismes tolérogènes. Les objectifs futurs seraient d’identifier des cibles thérapeutiques permettant d’améliorer les résultats de l’IIT.

La troisième présentation a porté sur la thérapie génique en tant que stratégie tolérogène. Les essais cliniques sur la thérapie génique ont exclu les candidats porteurs d’inhibiteurs et on ignore si les patients atteints d’hémophilie A sous thérapie génique risquent de développer des inhibiteurs. Des travaux préliminaires sur des chiens porteurs d’inhibiteurs ont montré les avantages potentiels de la thérapie génique à virus adénoassocié ciblant le foie comme stratégie intéressante pour l’IIT à l’intention des patients qui manifestent une réponse insatisfaisante. L’expression continue du FVIII permet aussi d’éliminer les problèmes d’observance thérapeutique et de morbidité associée au cathéter pour l’IIT à base de concentré de facteur. Des taux plus élevés d’expression transgénique de FVIII ou FIX peuvent accélérer l’éradication d’inhibiteurs préexistants, mais un épuisement de l’effet semble fréquent, même avec de faibles taux d’expression. Une fois l’inhibiteur éradiqué, la prophylaxie de la réponse anamnestique n’a pas été nécessaire et le phénotype hémorragique a été amélioré par l’expression transgénique continue de FVIII/FIX après la thérapie génique. Notez qu’une partie de cette recherche a été effectuée au Canada, au laboratoire du Dr David Lillicrap de l’Université Queen’s de Kingston, en Ontario.

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SOMMET VIRTUEL DE LA FMH – Du 14 au 19 juin

Penser les inhibiteurs différemment

Conférenciers

Sébastien Lacroix-Desmazes
Chef d’équipe, Centre de recherches des Cordeliers, Université Pierre et Marie Curie

Kathleen Pratt
Professeure agrégée, Uniformed Services University of the Health Sciences

Valder R. Arruda
Professeur agrégé de pédiatrie, Faculté de médecine de l’Université de la Pennsylvanie