Depuis trois décennies maintenant, les personnes atteintes d’hémophilie ont échappé à la contamination des facteurs de remplacement et elles bénéficient des traitements actuels qui peuvent réprimer et éliminer le VIH et le VHC, respectivement; leur espérance de vie s’en trouve nettement améliorée. Mais, en plus des pathologies habituellement associées au vieillissement dans la population générale, plusieurs enjeux spécifiques touchent les patients atteints de troubles de la coagulation. Cette séance a fait un tour d’horizon complet de l’incidence et de la prise en charge des comorbidités chez les personnes hémophiles vieillissantes, en mettant l’accent sur la maladie cardiovasculaire et sur l’ostéoporose.
Le Dr Michael Makris, directeur du Centre d’hémophilie et de thrombose de Sheffield, au R.-U., a commenté le cas d’un homme de 99 ans atteint d’hémophilie A qui a commencé un traitement prophylactique à l’âge de 92 ans. Il a en outre subi une arthroplastie du genou la même année et une correction de hernie à l’âge de 95 ans; ce qui démontre bien que les attentes peuvent évoluer. De l’enfance à l’âge adulte, jusqu’à la retraite et même jusqu’au quatrième âge, chaque étape de la vie, apporte sa part de défis.
Chez les patients âgés, ces défis sont associés aux maladies cardiovasculaires et rénales, à l’hypertension, à l’obésité, au diabète, aux problèmes de mobilité, incluant l’arthropathie, aux maladies osseuses et aux chutes, à la baisse de l’acuité visuelle, à la démence, aux co-infections par le VIH/VHC et au cancer. Chez une personne atteinte d’hémophilie, les risques de maladie cardiovasculaire et d’hypercholestérolémie peuvent être atténués, mais l’hypertension, l’hépatite et les problèmes musculosquelettiques sont plus fréquents que dans la population générale. Les traitements antirétroviraux ont transformé le VIH en une maladie chronique, mais probablement au prix d’une augmentation des problèmes cardiovasculaires. De même, le traitement de l’hépatite C est efficace, mais le risque de cancer du foie n’est pas éliminé. Les cancers augmentent chez les personnes porteuses du VIH et du VHC; on leur recommande de participer à des programmes de dépistage des cancers de l’intestin et de la prostate, et on leur demande de se perfuser des concentrés de facteur en cas de biopsie. La thrombocytopénie durant un traitement pour le cancer peut aussi nécessiter la prise de concentrés de facteur. Les personnes âgées bénéficieraient d’une consultation en hématologie dans le cadre d’une évaluation gériatrique complète lorsque les problèmes observés concernent l’autotraitement, la dextérité, la mobilité, l’ouïe et la vision, ou encore la dépression ou la démence. Certains établissements de soins n’accepteront pas les patients qui prennent des médicaments intraveineux. L’Hemophilia Foundation of Australia a préparé un fascicule – HFA Getting Older report (www.haemophilia.org.au/publications/getting-older/reports). En résumé, chez les personnes âgées atteintes d’hémophilie, le traitement des saignements n’est plus le principal souci.
Le Dr Pal Andre Holme, professeur et expert-conseil principal à l’Hôpital universitaire d’Oslo, a parlé des antithrombotiques. Les maladies cardiovasculaires vont souvent de pair avec endoprothèses, antiplaquettaires, anticoagulants et fibrillation auriculaire. Après une chirurgie, il faut prendre des décisions en ce qui concerne la thromboprophylaxie et le traitement de la thromboembolie veineuse. L’hypertension et l’embonpoint accroissent les comorbidités cardiovasculaires comparativement à la population générale, mais la mortalité par coronaropathie diminue, probablement en raison d’une production de thrombine diminuée au niveau du point de rupture du caillot, ce qui soulève la question : « L’utilisation intensive d’un facteur de remplacement en prophylaxie entraînera-t-elle une augmentation des coronaropathies? »
Le syndrome coronarien aigu peut être traité comme à l’habitude, mais le risque pourrait être accru. Le facteur de remplacement ne sera peut-être pas nécessaire si les valeurs de départ dépassent 25 %, mais ne devrait pas excéder 80 %. L’accès radial et les endoprothèses à élution de médicament de seconde génération sont à privilégier, alliées à des antiplaquettaires pendant quatre semaines seulement. Il faut éviter la DDAVP en présence de maladie cardiaque ischémique. Les anticoagulants ne devraient être utilisés que chez les personnes hémophiles qui présentent une fibrillation auriculaire et un risque élevé d’AVC; l’ablation par cathéter ou l’aspirine à faible dose seraient à privilégier. Le risque de thromboembolie veineuse (TEV) spontanée est rare et même en période postopératoire, il est estimé à 0,5 %, contre 4,3 % dans la population générale. Aucune thromboprophylaxie n’est à envisager en l’absence de facteurs prédisposants et des concentrés de facteur devraient être administrés en perfusion continue pour éviter les pics plasmatiques. On connaît peu le traitement de la TEV chez les personnes hémophiles; le cas échéant, la durée du traitement anticoagulant, y compris par agents oraux à action directe, doit se limiter à un mois tout au plus. La thrombectomie avec facteur de remplacement peut aussi être envisagée.
La prise en charge de l’ostéoporose chez les personnes atteintes d’hémophilie peut être présentée de différents points de vue : épidémiologie, pathophysiologie, dépistage et traitement. La Dre Christine Kempton, professeure agrégée d’hématologie et d’oncologie médicale au Emory University Hospital Midtown, à Atlanta, en Géorgie, a expliqué que la densité osseuse des personnes atteintes d’hémophilie est plus faible que celle de la population générale et que cela s’observe même avec l’hémophilie légère, chez les porteuses et chez les enfants. Une densité osseuse faible, mesurée au moyen de l’absorptiométrie DXA, prédispose aux fractures de fragilité, à l’ostéopénie et à l’ostéoporose. La formation des os dépend de l’équilibre entre l’ostéolyse et l’ostéogenèse (résorption et élaboration physiologiques du tissu osseux), or le facteur VIII et le facteur de von Willebrand affectent les ostéoclastes chargés de la résorption, tandis que les récepteurs de la thrombine se trouvent sur les ostéoblastes et affectent l’élaboration du tissu osseux. La maladie osseuse peut être influencée par un trouble de la coagulation ou découler de l’hémophilie elle-même. Les facteurs de risque d’ostéoporose sont : maladie articulaire, faible indice de masse corporelle, VIH, carence en vitamine D et tabagisme. Une consommation modérée d’alcool exerce un effet protecteur, tandis que l’effet de l’activité physique est variable. Chez les patients âgés, il faut parfois recourir à des prothèses articulaires (arthroplasties) et à leur remplacement, mais davantage à cause de l’arthrose qu’à cause de l’arthropathie. Un dépistage est recommandé chez les personnes atteintes d’hémophilie âgées de 50 ans et plus. Chez les hommes, le traitement est standard jusqu’à ce qu’on obtienne des preuves que l’ostéoporose se présente différemment chez les personnes hémophiles.
Une séance de questions animée a soulevé plusieurs enjeux :
- Chez les personnes atteintes d’hémophilie traitées par émicizumab, le risque d’ostéoporose est-il plus élevé en raison de l’absence de FVIII? Il faudra approfondir la recherche, les patients atteints d’hémophilie B à qui il manque le facteur IX ont aussi des problèmes articulaires.
- La prudence s’impose particulièrement chez les patients porteurs d’inhibiteurs traités par émicizumab et exposés à des facteurs de risque cardiovasculaire ou nécessitant une intervention coronarienne percutanée (angioplastie avec endoprothèse).
- Chez les patients sous thérapie génique pour qui le taux cible se situe entre 50 et 80 % pour prévenir les saignements, le traitement usuel est recommandé.