Le Kilimandjaro, le toit de l’Afrique, un volcan inactif culminant à 5 895 mètres d’altitude, est une importante destination de randonnée et d’escalade que 35 000 personnes tentent de grimper chaque année. Ni Craig ni moi n’avons jamais pensé faire partie de ces gens qui tenteraient cette aventure. Mais …nous l’avons fait, nous nous sommes rendus au sommet et nous en sommes redescendus, ce qui s’est révélé la partie la plus difficile!
Qu’est-ce qui nous a décidés à nous lancer dans une telle aventure? Bonne question! Nous sommes tous les deux des passionnés de voyage qui adorent explorer de nouveaux endroits et vivre de nouvelles expériences partout dans le monde. Nous connaissons tous les deux des gens qui ont déjà fait cette ascension, alors lorsque l’automne dernier j’ai lancé l’idée de le faire, Craig a manifesté son désir de l’essayer, et nous nous sommes dits… ok, allons-y! Et si ce n’est pas maintenant, ce sera quand?
Au cours des deux dernières années, tant Craig que moi-même avons dû subir certaines interventions chirurgicales et traitements assez importants en raison de nos troubles de saignement respectifs : j’ai la maladie de von Willebrand de type 2a et Craig est atteint d’hémophilie A grave avec inhibiteurs. La raison pour laquelle nous avons pu envisager la possibilité de faire cette ascension est le fait que Craig est maintenant traité avec Hemlibra et qu’il a eu un remplacement de genou sans aucune complication liée à des saignements. Il a été en mesure d’entreprendre une réadaptation vigoureuse et de renforcer son genou de façon à pouvoir grimper. Quant à moi, j’ai subi une hystérectomie pour régler mes problèmes de saignements menstruels abondants, qui m’auraient empêchée de me lancer dans un tel projet. Malgré cela, je souffre chaque mois à cause de ruptures de kyste ovarien qui causent de la douleur et des saignements. Heureusement, je peux m’administrer à la maison des traitements de facteur VIII et de facteur von Willebrand (Humate-P), qui réduisent considérablement ma douleur, mon inconfort et mon temps de récupération. Je m’inquiétais que cela puisse avoir une incidence sur le début de notre périple, mais heureusement, mon cycle d’ovulation s’est produit la semaine précédant notre départ, et nous avons été en mesure de gérer le tout efficacement à la maison; la semaine suivante, j’étais reposée et je me sentais bien.
Une fois la décision prise de se lancer dans cette aventure, nous avons réservé nos vols, avons choisi l’agence d’excursion avec laquelle nous ferions le périple, et nous nous sommes mis à l’entraînement! Je travaille comme entraîneure personnelle et coach en santé, alors je planifiais nos séances d’entraînements chaque semaine, je trouvais des randonnées que nous pouvions faire les week-ends un peu partout en Ontario et à l’extérieur de la province et nous nous sommes inscrits à un centre d’entraînement spécialisé à Toronto, Altitude Athletics. C’est un endroit formidable parce qu’il nous a permis de nous entraîner en altitude pendant des mois, permettant ainsi à nos corps de s’adapter à fonctionner avec des niveaux d’oxygène plus faibles tout en nous aidant à améliorer notre condition physique générale. Après six mois d’entraînement constant en force musculaire et en entraînement cardiovasculaire, nous nous sentions aussi préparés qu’il était possible de l’être pour le départ en juin. Le moment était maintenant venu de mettre à l’épreuve tout ce travail de préparation!
L’entraînement au « Altitude Athletics »
Nous sommes arrivés en Tanzanie le mercredi 28 juin, et notre ascension devait commencer le vendredi 30 juin. Nous avions donc deux jours pour nous acclimater et nous remettre du décalage horaire. Le matin du départ, nos guides se sont présentés à notre hôtel avec le groupe de dix personnes avec lesquelles nous allions passer les sept prochains jours.
Notre groupe de 10, ensemble, jusqu’au sommet!
Nous avons emprunté la route Machame, qui est la deuxième route la plus difficile pour atteindre le sommet, mais qui comporte aussi un bon taux de réussite puisqu’elle offre suffisamment de temps pour une bonne acclimatation. Une des raisons pour lesquelles nous avons choisi cette route est qu’elle commence dans la forêt tropicale, ce qui constitue un très beau départ pour l’ascension. Elle nous a permis de voir une flore diversifiée qui caractérise cette partie de la montagne.
Il y avait certainement beaucoup plus de roc et de « brouillage » (terme d’alpinisme désignant l’ascension d’un terrain escarpé en utilisant ses mains pour aider aux prises et à l’équilibre) que nous l’avions prévu les deux premiers jours, mais c’était un défi stimulant, et nous nous en sommes très bien tirés tous les deux. Au Jour 2, nous étions déjà au-dessus des nuages, ce qui procurait une vue saisissante. Le soir, nous pouvions voir les lumières scintillantes de la ville loin au bas, ce qui donnait une idée de l’altitude à laquelle nous étions.
Les lumières du ciel se mélangent aux lumières de la ville en contrebas.
Les deux journées suivantes n’ont été rien de moins que spectaculaires! Nous avons grimpé au point le plus élevé, à 4 600 mètres, pour atteindre Lava Tower, une formation rocheuse de lave impressionnante pointant haut vers le ciel.
Lava Tower
La végétation avait changé considérablement alors que nous apercevions ces arbres étranges appelés séneçons géants, qui ressemblent à d’immenses ananas.
Les séneçons géants
Les Jours 3 et 5, Craig s’est administré un traitement de facteur VIII (Eloctate) pour s’assurer que ses niveaux de facteur étaient suffisamment élevés pour prévenir les saignements. La montagne n’est pas l’endroit idéal pour un traitement par facteur de remplacement, mais ça demeure faisable, et cela avait fait l’objet d’une discussion avec son hématologue avant notre départ.
Le Mur de Barranco a certes été la plus grande réalisation de ces deux journées. Je ne mentirai pas en disant que cette étape nous a fait passer par toute la gamme des émotions! Deux heures et 800 pieds de montée abrupte, quelques descentes brusques qui exigeaient beaucoup de brouillage pour se tenir tout près de la paroi. Heureusement, nos guides étaient là pour nous diriger… pose ton pied ici et agrippe-toi là. Nous avons tous les deux réussi à négocier le parcours, mais sur certains amoncellements rocheux, ce fut sans aucun doute la limite pour l’amplitude des mouvements des genoux de Craig – il fallait parfois faire d’énormes enjambées!
Les Jours 5 et 6, nous avons franchi le Camp Karanga, le Camp Barafu, et Stella Point pour finalement atteindre Uhuru Peak (LE SOMMET)! Ces deux journées ont été trèèès longues!
Le Camp Barafu était notre dernier campement avant notre ascension jusqu’au sommet. Lorsque nous y sommes arrivés, l’objectif était d’essayer de dormir entre 15 h et 22 h. Il fallait ensuite se réveiller, prendre un repas et, à minuit, amorcer la dernière étape jusqu’au sommet. Mais avec la chaleur qui sévissait dans la tente ajoutée à l’adrénaline et à l’anticipation précédant l’ascension au sommet, nous n’avons pas beaucoup dormi.
L’ascension à partir du camp a commencé à minuit sous une magnifique pleine lune, un ciel étoilé et une température autour de -15oC. Je portais quatre couches de vêtement au bas du corps et cinq couches au haut du corps, une lampe frontale, un sac à dos, un chapeau, un foulard couvrant le visage pour me tenir au chaud et des mitaines avec des chauffe-mains à l’intérieur. J’étais vraiment heureuse de les avoir apportés puisqu’ils m’ont gardée au chaud jusqu’au sommet. C’était fascinant de voir les différents groupes se diriger vers le sommet; on pouvait observer cette traînée de lampes frontales se déplacer vers le haut! Lentement mais sûrement, nous avons progressé dans l’obscurité à travers le sentier sinueux en faisant une pause de 10 à 15 minutes chaque heure pour boire de l’eau et manger, et refaire le plein d’énergie. Ce fut long et nous sentions vraiment que notre respiration était plus ardue au fur et à mesure que nous grimpions en altitude. À part cette difficulté à respirer, nous nous sentions très bien! Pas de maux de tête, ni de nausées et d’étourdissements. Et finalement… lorsque le soleil s’est pointé nous avons pu admirer ce magnifique lever de soleil au-dessus des nuages qui nous procuré cette énergie réconfortante pour nous permettre d’aller jusqu’au bout!
Sept heures plus tard, nous franchissions la crête jusqu’à Stella Point, le premier sommet officiel à 5 756 mètres. C’est une sensation incroyable de franchir la crête et d’apercevoir ce point. Mais ce n’était pas fini! Nous avons poursuivi notre périple pendant environ une heure pour atteindre Uhuru Peak, le point le plus élevé à 5 895 mètres. Une fois arrivés au sommet, nous étions tous les deux envahis par l’émotion. L’aboutissement de tout ce travail acharné, de l’entraînement, de la volonté de réaliser cet exploit, et le fait que nous étions tous les deux à cet endroit, fiers de l’avoir accompli ensemble, quelle incroyable sensation!
Dernier sentier jusqu’au sommet
Tellement heureux et fiers d’avoir atteint le sommet!
La vue des paysages et des glaciers à proximité était époustouflante. Dire que cela pourrait disparaître complètement d’ici 25 ans à cause des changements climatiques. Notre guide, qui fait cette ascension depuis 20 ans, nous a indiqué jusqu’où le glacier s’étendait lorsqu’il a fait ses premières ascensions, et c’est impressionnant de constater à quel point le glacier a reculé au cours des 20 dernières années.
Le glacier Furtwängler
Le glacier Rebmann – Champ de glace méridional au lever du soleil.
Après une trentaine de minutes au sommet, nous avons entrepris notre descente vers Stella Point, puis vers le camp Barafu Camp. Les gens font souvent l’erreur de penser que la descente est plus facile que l’ascension, mais ce n’est pas le cas… c’est beaucoup plus difficile! Bien que nous ayons mis huit heures pour atteindre le sommet, il a fallu un autre six heures pour redescendre. Il faisait plus chaud, et il faisait maintenant jour, mais le parcours était abrupt avec beaucoup d’éboulis (amas de fragments de roches au pied d’une falaise), ce qui peut être très glissant, surtout que nous étions fatigués et que nos muscles le ressentaient. Cette portion nous a semblé interminable et même si nous pouvions apercevoir le camp, nous avions l’impression que ça prendrait une éternité pour nous y rendre! À notre arrivée au camp, nous étions exténués et nos genoux nous faisaient souffrir. Nous n’avons eu que quelques heures pour nous reposer et manger, et il restait encore deux heures de descente pour terminer le Jour 6 au camp Millennium, où nous allions passer notre dernière nuit.
Le Jour 7 était notre dernière journée en montagne, mais quelle journée ce fut! Nous nous sommes tous les deux réveillés avec des raideurs et de la douleur causées par la journée précédente, et Craig le sentait vraiment dans ses jambes et ses chevilles. Cette journée a probablement été la plus difficile de notre trek pour lui. Nous étions à 3 000 mètres d’altitude et il restait sept heures de descente dans la forêt tropicale avec des roches glissantes et de la boue profonde. La descente a été longue et ardue, mais nous avons finalement aperçu la fin du sentier et nous sommes arrivés à la sortie du parc. Quel bonheur d’atteindre enfin le fil d’arrivée!
Notre descente à travers la forêt tropicale. Je n’ai jamais vu autant de boue!
Tellement heureux mais… il est temps de nettoyer toute cette boue!
Notre journée s’est terminée par un délicieux lunch préparé par nos chefs, qui nous ont servi de si bons repas pendant notre périple, et par une cérémonie au cours de laquelle nos quatre guides ont remis à chaque membre de notre groupe un certificat attestant que nous avions réussi à atteindre le sommet.
Cet exploit est encore plus impressionnant sachant que seulement 66 % des gens qui tentent cette ascension chaque année réussissent à atteindre le sommet du Kilimandjaro. Nous avons vu de nombreuses évacuations en hélicoptère lors de notre descente. Nous devons tous les deux composer avec nos propres difficultés à cause de nos troubles de la coagulation, de nos problèmes d’articulations, de nos interventions chirurgicales, de l’arthrite et de la douleur chronique, mais avec un bon entraînement – entraînement musculaire, mobilité des articulations et cardio – et les bons traitements, nous avons réalisé que tout est possible. Avec les nouveaux traitements disponibles, Craig, malgré son hémophilie grave, s’est rendu compte que plusieurs de ses limites pouvaient être repoussées et qu’il était désormais capable de réaliser des choses qu’il croyait auparavant impossibles. Quant à moi, grâce à la défense des intérêts et des soins et traitements auxquels j’ai accès, j’ai également été en mesure d’atteindre cet objectif.
Il y a cependant encore de nombreuses femmes partout au pays qui n’ont jamais reçu un diagnostic approprié et qui luttent pour obtenir des soins adéquats qui leur permettraient d’avoir une vie productive, saine, active. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de nous servir de cette aventure comme catalyseur, par l’entremise de la SCH, pour faire de la sensibilisation et offrir du soutien aux femmes qui sont atteintes d’un trouble de la coagulation. Si vous êtes en mesure de faire un don, votre soutien serait grandement apprécié.