par David Page, Directeur national des politiques de santé de la SCH
Étant donné les progrès récents en matière de traitement pour les troubles héréditaires de la coagulation, particulièrement pour l’hémophilie A et l’hémophilie B, j’ai entendu des gens, tant dans notre entourage direct qu’à l’extérieur de celui-ci, affirmer que l’univers des troubles de la coagulation avait fondamentalement changé et que le travail de la SCH sera très différent à l’avenir. Une idée pour le moins intrigante.
Au cours des derniers mois, il est vrai que nous avons été témoins de progrès significatifs. L’émicizumab (Hemlibra) représente une percée majeure en matière de traitement et le produit est offert depuis 2019 aux patients porteurs d’inhibiteurs dirigés contre le facteur VIII, et depuis octobre 2021 aux personnes atteintes d’hémophilie A grave sans inhibiteurs dans la plupart des régions du Canada, et le processus de transition avance rapidement. Souhaitons que des nouvelles positives semblables émanent du Québec au cours des prochaines semaines. L’émicizumab a transformé la vie des patients porteurs d’inhibiteurs. Le plus récent appel d’offres de la Société canadienne du sang, dont les éventuelles ententes entreront en vigueur le 1er avril, a donné lieu à l’offre de concentrés de facteur VIII et de facteur IX la plus vaste jamais vue, y compris des produits à demi-vie prolongée, sans limitations d’accès pour chacun de ces produits. Nous ne connaissons pas les détails de l’appel d’offres au Québec, mais nous sommes optimistes que l’accès sera amélioré là aussi.
Et l’éventail de produits actuellement en essai clinique est vaste. Encore plus de concentrés de FVIII à demi-vie prolongée, plus d’anticorps monoclonaux puissants qui agissent comme l’émicizumab; des stratégies de rééquilibrage du système de coagulation comme le fitusiran, les anti-TFPI et l’anti-protéine C; et la thérapie génique qui s’annonce très prometteuse, pas seulement pour l’hémophilie A et B, mais aussi pour certains cas du spectre complet des troubles de la coagulation, nonobstant les nombreuses questions importantes concernant l’innocuité et l’efficacité.
Ces progrès en matière de soins et traitement signifient-ils que la SCH doit transformer radicalement sa mission et son travail?
Premièrement, ces percées en matière de traitement ne permettent pas et ne permettront pas de revenir en arrière. Les anciens fardeaux de la maladie et des traitements ¾ les pathogènes à diffusion hématogène, les conséquences psychosociales et socioéconomiques de la maladie chronique, et la douleur et l’invalidité causées par les dommages aux articulations ¾ ne disparaîtront pas soudainement, et pourraient même s’aggraver avec l’âge.
L’émicizumab est un tout nouveau traitement très différent des autres. De nombreuses questions demeurent sans réponse au sujet de son utilisation. Les médecins et les patients/aidants doivent changer leur façon de penser et adapter leurs pratiques. Comme toujours, l’éducation demeure la clé. Et pour l’instant, l’émicizumab n’est pas encore accessible aux patients dont les niveaux de FVIII se situent à 1 % ou plus.
Certains traitements émergents mentionnés précédemment pourraient bien être approuvés par Santé Canada d’ici deux à trois ans, mais seront-ils financés par nos canaux habituels, soit Héma-Québec et la Société canadienne du sang? Il n’existe aucune garantie à cet égard. Si ces traitements devaient être transférés aux 13 formulaires pharmaceutiques provinciaux/territoriaux, l’accès équitable et abordable partout au Canada serait menacé. Nous venons tout juste de subir un processus extrêmement bureaucratique pour l’accès à l’émicizumab, beaucoup plus long que dans des pays comparables — 28 mois entre l’homologation par Santé Canada et l’accès aux patients, un processus qui aurait été sans doute encore plus long n’eût été la forte mobilisation des membres de la SCH avec le soutien scientifique des physiciens. L’accès aux futurs produits dépendra également d’une organisation efficace, apte à présenter des arguments fondés sur des données probantes, représentant les intérêts des patients. Ce rôle est appelé à prendre plus d’importance, et peut-être à devenir plus difficile à jouer.
Les deux percées récentes mentionnées précédemment profitent essentiellement aux 1 200 Canadiens atteints d’hémophilie A et B grave. Les 9 000 autres Canadiens inscrits dans le réseau des centres de traitement au Canada et qui sont atteints de formes moins graves d’hémophilie, de la maladie de von Willebrand et de troubles sanguins rares n’ont pas profité du même grand pas en avant en matière de soins. Nous savons qu’il y a des milliers d’autres Canadiens qui n’ont pas encore reçu de diagnostic et qui sont à risque de subir des saignements graves. La recherche a démontré que les femmes atteintes d’un trouble de la coagulation attendent plus longtemps pour obtenir un diagnostic exact et n’ont pas droit au même accès aux soins que les hommes. La sensibilisation et l’information auprès de ces populations demeurent plus importantes que jamais.
Les progrès en matière de traitement sont cruciaux, mais ils ne sont d’aucune utilité sans une prestation optimale de ces traitements. À cet égard, nous comptons sur les médecins et les professionnels de la santé de notre réseau de 26 centres de traitement. Avec le nombre croissant d’options offertes et le besoin de solutions personnalisées, je dirais que les soins n’ont jamais été si complexes et qu’ils le seront davantage au cours des prochaines années. Le consentement vraiment éclairé et la prise de décision partagée pour faire un choix parmi ces traitements à la fois nouveaux et très différents constitueront un défi. Les centres de traitement bien pourvus en ressources et pouvant compter sur un personnel compétent et expérimenté auront un rôle critique à jouer. Il semble qu’il sera de plus en plus difficile d’inculquer des connaissances et de mobiliser les patients et les aidants. Le rôle historique de la SCH, qui remonte aux années 1970, de promouvoir et appuyer les soins complets ne diminuera pas, bien au contraire. Dans un monde où l’affectation des ressources en matière de santé n’a jamais été aussi incertaine, la SCH et ses sections (la prestation des soins de santé relève des provinces) devront intensifier leurs efforts. Travailler en tant qu’organisation unifiée, avec une répartition des rôles entre le niveau national et les sections provinciales, au sein d’un système fédéral avec des provinces et des territoires, a toujours donné lieu à une relation compliquée, et ces tensions se poursuivront vraisemblablement. Depuis sa création en 1953, la SCH a néanmoins réussi à maintenir une culture axée sur l’importance de faire une différence pour les personnes qu’elle sert, et elle peut s’enorgueillir d’un bilan impressionnant à cet égard : soins complets, indemnisations pour le sang contaminé, un système d’approvisionnement sanguin plus sûr pour tous, soutien pour ses membres, publications de grande qualité et accès à des traitements novateurs.
J’ignore si cela est rassurant ou alarmant, mais il y a un fond de vérité dans le vieil adage qui veut que « plus ça change, plus c’est pareil ». Ainsi, même si le paysage des troubles héréditaires de la coagulation est en mutation, le rôle de la SCH qui consiste à servir les personnes atteintes d’un trouble de la coagulation, demeure inchangé.